Il n'est pas possible de nous soustraire à l'ordre « corrompu » de l'État : y introduire une torsion supplémentaire, y inscrire notre fidélité à un Événement, voilà ce qui nous reste. Nous demeurons alors dans les frontières de l'État mais nous faisons fonctionner l'État de façon non étatique (de façon similaire à la poésie, qui est dans le langage mais le tord et le retourne contre lui-même pour lui faire dire la vérité). Rien ne sert de jouer le retrait gnostique et ascétique, de refuser la chute de la réalité et de s'isoler dans la tour d'ivoire de la Vérité : bien qu'hétérogène à la réalité, la Vérité peut apparaître n'importe où.
Slavoj Žižek, Vivre la fin des temps.

Le naufrage des stratégies informatiques du gouvernement du Québec

Il y a maintenant dix ans, l’Assemblée nationale du Québec adoptait une motion qui « salue toute initiative en vue de l'édition et de la diffusion de logiciels libres au Québec » et qui « encourage le gouvernement à poursuivre ses efforts pour promouvoir l'utilisation du logiciel libre au sein de l'administration publique ».

Cette motion adoptée à l’unanimité sous le gouvernement Marois est l’aboutissement d’une stratégie gouvernementale initiée par le gouvernement Charest deux années auparavant.
La ministre libérale Michelle Courchesne avec l’appui de sa collègue du Parti Québécois Marie Malavoy, fait adopter un nouveau règlement sur les marchés publics obligeant l’administration à considérer les logiciels libres pour chaque projet informatique gouvernemental.
Quelques mois plus tard, sous la pression de la haute fonction publique et de lobbys, le gouvernement Couillard fait marche arrière toute et fait adopter un nouveau règlement sur les marchés publics informatiques qui ferme définitivement la porte, non seulement aux solutions en logiciel libre, mais aussi aux solutions innovantes des entrepreneurs québécois.
Poursuivie et amplifiée par le gouvernement Legault, cette politique a des effets très rapides et concrets.
En réservant exclusivement les milliards de dollars investis dans la transition numérique aux multinationales étrangères, les entreprises québécoises du numérique sont peu à peu asphyxiées, et c’est toute l’industrie du logiciel au Québec qui, en quelques années, s’effondre, ainsi que le bouillonnant et très dynamique écosystème des entrepreneurs québécois de l’innovation.

Le logiciel libre
De même que l’industrie pharmaceutique ne peut exister qu’en s’appuyant sur un réseau de laboratoires de recherche qui échangent librement et de manière ouverte les résultats de leurs recherches, l’industrie du logiciel ne peut se développer qu’en s’appuyant sur un réseau collaboratif, lieu d’innovations et de créations. C’est ça le logiciel libre.
Sans écosystème du logiciel libre vivant et dynamique, point d’industrie du logiciel tout court.
On ne sera pas étonnés de voir que les plus importants contributeurs mondiaux de logiciels libres se trouvent être précisément les plus gros producteurs de logiciels, dont Microsoft, Google et IBM.
On remarquera aussi que toutes les innovations récentes en génie logiciel, de la blockchain à l’intelligence artificielle, sont issues de ces écosystèmes.

Producteur ou consommateur
En faisant du Québec un consommateur de logiciels et non un producteur, l’État ne se condamne pas seulement à échouer dans sa propre transition numérique, mais s’interdit toute politique économique efficace quel que soit le secteur économique.
L’informatique est un secteur économique transversal qui irrigue tous les autres. Du secteur manufacturier, agricole, culturel, de la santé, de l’éducation, à l’économie des services, l’informatique s’infiltre partout, dans tous les interstices sociaux-économiques de l’activité humaine.
Les gains de productivité et les innovations, tous secteurs économiques confondus passent aujourd’hui par les technologies de l’information.
Sans souveraineté informatique, pas de souveraineté économique tout court.

La fiction de la pénurie de main d’œuvre
La pénurie de main d’œuvre est un point connexe sur lequel il faut s’arrêter. C’est l’argument-massue qui clôt toutes discussions au sujet des stratégies informatiques avec nos décideurs politiques. Nous n’aurions le choix, en raison de cette pénurie, que d’acheter des solutions informatiques « sur tablette auprès de multinationales étrangères. Le Québec ne compterait pas suffisamment d’ingénieurs qualifiés pour mener ces grands projets numériques; la génération des baby boomers partant à la retraite, elle laisse un grand vide sur le marché du travail.
Observons tout d’abord que ce n’est pas chez les baby boomers que l’on compte le plus d’informaticiens.
Remarquons aussi que le Canada a accueilli cette année près d’un million d’immigrants sur son sol, dont de très nombreux experts hautement qualifiés dont le Québec profite largement.
Par contre, on doit interroger les subventions massives et coûteuses à l’industrie du jeu depuis 25 ans (37 % des salaires pris en charge par l’État !). Cette industrie verticale, sans valeur ajoutée pour les autres secteurs économiques, siphonne les meilleurs ingénieurs du secteur informatique et crée une inflation sur les salaires, perverse pour les PME/PMI québécoises.

Un gâchis incommensurable
Passons sur le projet SAGIR, projet d’informatisation de l’État qui date de plus de 25 ans et qui n’est toujours pas terminé. 115 millions de dollars engagés pour le seul mois de juillet dernier, juste en ressources externes, auxquels il faut ajouter les coûts de licences et d’opérations [1].
Passons sur le projet informatique de la SAAQ débuté il y a 8 ans, qui démontre, comme pour le projet de paie fédéral Phénix, que les solutions propriétaires sont tout simplement technologiquement inadaptées aux systèmes d’information modernes.
Passons sur le projet d’identité numérique québécois, où l’on apprend qu’après sept ans, c’est finalement une technologie américaine fermée qui sera choisie.
Passons sur tous ces projets gouvernementaux qui ne cessent pas d’échouer ou de toujours plus coûter, car il y a plus grave.
En détruisant systématiquement l’industrie du logiciel au Québec, c’est toutes les petites et moyennes entreprises et de nombreuses filières spécialisées qui se trouvent fragilisées par cette stratégie économique. Dans son dernier rapport, le ministère des finances annonce que l’entreprenariat a chuté de 19 % et que la tendance semble lourde et durable.
Nos PME/PMI, faute de capacité à se moderniser, disparaissent les unes après les autres. Les chambres de commerce régionales tirent toutes la sonnette d’alarme.

Le naufrage
Il fallait voir le ministre Dubé à la télévision annonçant que le marché du dossier de santé numérique québécois avait été attribué à la multinationale américaine EPIC pour un montant (initial) de 3 milliards de dollars. Son regard était fuyant, son ton grave et ses phrases hésitantes.
Il pouvait mesurer en direct l’effet des politiques destructrices de tout l’écosystème des PME québécoises de l’innovation qu’il avait lui-même menées ces dernières années sous la direction du premier ministre.
Le lecteur pourra mesurer ce que 3 milliards de dollars veulent dire. C’est, dans chacune des 17 régions du Québec, une entreprise de 350 ingénieurs informaticiens hautement qualifiés à qui l’on donnerait 35 millions de dollars de contrats par an pendant 5 ans. Ou bien, c’est 6000 ingénieurs payés 100 000 $ par an pendant 5 ans.
De plus, 3 milliards de dollars injectés dans l’économie locale, c’est un investissement public avec un rendement supérieur à 1. En effet, par les retours d’impôt qu’il produit en cascade, c’est une dépense qui rapportera largement plus à l’arrivée. Ce sont des économies régionales revivifiées, des PME prêtes à affronter les marchés à l’export, un capital humain précieux et mobilisé.
Des décideurs politiques qui ne font pas confiance à leur propre peuple pour relever les défis de leur temps méritent-il de diriger le Québec ?

 

L'industrie du Logiciel Libre dénonce et se retire du Conseil consultatif québécois des technologies de l'information

Je ne saurai trop vous recommander la lecture du communiqué de presse suivant:
http://www.newswire.ca/fr/releases/archive/September2015/22/c8056.html
 

Ring : une autre manière d'utiliser l'Internet

Je profite de la période estivale pour vous signaler le lancement de Ring.
Qu'est-ce que Ring ? Un système de communication universel sur Internet. Et encore ? ah oui! Ring est un logiciel libre.
En toute modestie, je pense que Ring constituera une rupture dans la manière dont nous utilisons Internet. Rien de moins ?
Bah, oui. Rien de moins.
Bon, pour le moment, restons modeste. Ring est à ses débuts, contient pleins de bugs et reste encore réservé aux geeks et amateurs éclairés.
Vous voulez essayer Ring ? http://www.ring.cx
 

« Bordel informatique » : le double jeu des syndicats de la fonction publique.

Le Journal de Montréal/Québec/Saguenay ont publié ce matin une lettre ouverte écrite par votre serviteur.
http://www.journaldemontreal.com/2015/03/23/bordel-informatique---le-dou...
On s'en reparlera. En attendant, je vous laisse méditer sur le lien entre cet article et mon billet précédent sur ce blog concernant le réglement sur les marchés publics.

Logiciels libres, quelle politique des marchés publics à l'ère du numérique ?

Quelques notes.

http://blogs.gplindustries.org/sites/default/files/PolitiqueMarchésPublics.pdf

Cyrille Béraud.

Cyrille.beraud@savoirfairelinux.com

Une politique des marchés publics au service de la modernisation de l'État et de l'innovation.

« L’État peut contribuer significativement à la croissance des entreprises québécoises par l’intermédiaire des marchés publics.
La mobilisation des marchés publics pour l’achat de produits ou de services innovateurs proposés par nos entreprises, en
plus d’ouvrir la porte à la commercialisation de certaines innovations québécoises, peut également engendrer un renouveau au
sein de l’État, et au sein de la société en général. Il s’agit pour les institutions et les organismes du gouvernement d’un moyen
privilégié pour accéder aux plus récentes technologies, aux nouveaux savoir-faire et aux idées nouvelles.
Sur un autre plan, l’innovation peut contribuer à accroître l’efficacité des services publics.

Dans le but d’aider les entreprises d’ici à pénétrer de nouveaux marchés, et en vue d’accroître son propre recours à
l’innovation, le gouvernement québécois favorisera, dans le cadre de ses appels d'offres publics, l’achat de produits innovants.

( … ) En favorisant l’innovation au moyen des marchés publics, l’État québécois contribuera à accélérer la mise en marché de
technologies innovantes et de technologies propres développées par des entrepreneurs d’ici, par l’entremise des achats publics. »1

Objectifs de la politique :

  • permettre à l'État d'obtenir aux meilleurs prix les meilleurs produits et services;
  • préserver les investissements déjà réalisés;

  • ouvrir les marchés publics aux petites et moyennes entreprises québécoises;

  • tirer profits des logiciels libres et des technologies ouvertes.

Quel est le problème actuel ?

Imaginons la situation simple d'un organisme public ayant identifié le besoin d'une solution logicielle. Il lance un appel d'offres et reçoit deux offres
équivalentes en terme de fonctionnalités et au même prix.
L'une est construite sur des logiciels privateurs, l'autre s'appuie sur des logiciels libres.

Les deux offres sont au même prix, mais ont-elles la même valeur pour l'État ?

Il est facile de montrer que, si le prix est le même, cette valeur est très différente. Ce différentiel de valeur, non-pris en compte dans les appels
d'offres est, d'après nous, l'obstacle principal à l'adoption des logiciels libres dans les organismes publics:



C'est un service – l'État loue le logiciel. Il ne possède ni le logiciel ni les codes sources.

C'est un bien (un actif) – l'État possède le logiciel et les codes sources.

Le logiciel ne peut pas être copié, ni redistribué. Les restrictions d'usages sont généralement très importantes.

Le logiciel peut être copié, redistribué - sans frais pour l'État - par exemple dans d'autres organismes qui en profiteraient.

Le logiciel ne peut pas être modifié ou ajusté selon les besoins.

L'État ne peut pas capitaliser. C'est une dépense courante.

Le logiciel peut être modifié, ajusté selon les besoins, amélioré. C'est une solution sur laquelle l'État peut capitaliser. C'est un investissement.

Seul le fournisseur peut fournir du support, la maintenance et l'évolution de la solution. (situation monopolistique).

L'évolution, le support et la maintenance peuvent être réalisés par plusieurs entreprises (marchés concurrentiels).

L'État ne peut pas garantir la sécurité de sa solution.

L'État peut garantir la sécurité de sa solution.

La différence essentielle entre les deux solutions est la valeur patrimoniale de la solution. Celle-ci se résume dans le premier item du tableau :
dans le cas de la solution en logiciel libre, l'État possède un actif. Dans l'autre cas, il est juste locataire.
Dans un cas il possède un patrimoine qu'il peut faire fructifier, dans l'autre, il ne possède rien (ou pas grand chose).

Valeur patrimoniale et politique des marchés publics

Situation actuelle

Schématiquement, les critères de la politique d'achat du gouvernement du Québec s'articulent autour de deux paramètres : le prix (P) et la qualité (K).

Un contrat est adjugé au plus-bas soumissionnaire dont le prix est ajusté par la qualité. Ce prix « ajusté » est calculé ainsi :

avec

Les critères permettant de calculer la valeur de K sont par exemple, en fonction du contexte : la capacité de relève du fournisseur, l'expérience
des ressources proposées, l'existence d'un système de gestion de la qualité (ISO), etc...

Proposition

Nous proposons d'introduire un nouveau paramètre d'ajustement établissant la valeur patrimoniale (V) de la solution proposée.

avec et

Les critères permettant de calculer la valeur V pourraient être :


Critères pour le calcul de la valeur patrimoniale d'une solution logicielle

Respect du cadre commun d'interopérabilité du gouvernement du Québec

Absence de restrictions d'usage

Droit de modifier le logiciel

Droit de copier le logiciel

Droit de redistribuer le logiciel

Possession de la propriété intellectuelle

 

Nous suggérons de fixer arbitrairement la valeur de V à 0,4 pour les contrats inférieurs à 1M$ et laissons le soin aux DPI de
fixer V pour les contrats de valeurs supérieures.

 

Quelques effets de cette proposition :

 

1. Permet de préciser le rôle et les responsabilités des acteurs :

Aux politiques, de délimiter le périmètre patrimoniale de ses systèmes d'informations.

À la fonction publique de mettre en œuvre ce périmètre en jouant sur la valeur de V.

 

2. Ne pas opposer logiciel libre et logiciel privateur. Mais plutôt en terme stratégique : identifier les périmètres où l'État a intérêt
à être locataire ou propriétaire (Services ou biens).

 

3. Préservation des investissements déjà réalisés.

Les projets déjà engagés peuvent être protégés en ajustant le coefficient V. Le locking fournisseur jouant au maximum lorsque V est au minimum.

 

4. Accès des PME/PMI en TIC aux marchés publics :

Le logiciel libre est la voie qui permet aux petites et moyennes entreprises d'accéder aux marchés publics. En effet, dans le modèle conventionnel,
l'obstacle principal est la gestion du risque. Le risque de défaillance d'une petite entreprise est important et pourrait avoir des conséquences graves
pour les MO. Dans le contexte du libre, les MO possèdent les sources et le marché du support et de la maintenance est ouvert et concurrentiel.
Le risque est donc beaucoup plus faible.

 

5. Permet à l'État d'accéder aux technologies innovantes de manière raisonnée en optimisant la gestion du risque.

 

6. Permettre à l'État d'obtenir aux meilleurs prix les meilleurs produits et services; Puisque le coefficient V favorise les solutions qui s'organisent
autour d'un marché ouvert et concurrentiel.

 

7. Minimise les impacts négatifs d'une approche favorisant le plus bas soumissionnaire. Même si le prix reste le paramètre central, l'introduction
du coefficient V réduit son emprise et donc les stratégies commerciales agressives et déloyales.

 

8. Permet de construire des appels d'offres autour d'un ensemble de critères lisibles, simples, tangibles et incontestables.

 

 

 

1http://www.mesrst.gouv.qc.ca/recherche-science-et-technologie/politique-nationale-de-la-recherche-et-de-linnovation-pnri/politique-nationale-de-la-recherche-et-de-linnovation-2014-2019-investir-dans-la-recherche-et-linnovation-cest-investir-dans-le-quebec/#c10323

 

Élections 2014 - Le logiciel libre au Québec perd deux alliés de poids.

Il y a quelques jours, la presse annonçait la mise à l'écart de Henri-François Gautrin, député de Verdun (PLQ).
Aujourd'hui on annonce le départ de la vie politique de Marie Malavoy, députée de Taillon (PQ).
J'ai rencontré plusieurs politiciens ces dernières années pour leur parler de l'importance du logiciel libre pour le Québec.
Marie Malavoy et Henri-François Gautrin, je les ai rencontrés tour à tour comme membre de l'opposition et puis comme membre du gouvernement.
Pour avoir travaillé avec eux deux à quelques reprises, je veux témoigner du fait que le mouvement du logiciel libre au Québec perd deux alliés de poids.
J'ai beaucoup appris à leur contact et beaucoup des avancées que nous avons faites au Québec leur sont soit directement ou indirectement redevables.
Nous verrons bien comment les cartes vont être redistribuées...
À bientôt, je vous donne rendez-vous dans quelques jours pour faire le bilan de l'action du gouvernement Marois concernant le logiciel libre.

Le logiciel libre, cette drôle de marchandise

La revue Relations m'a demandé un article sur le logiciel libre dans le cadre du numéro de décembre 2013 sur le thème du don.
Le logiciel libre, cette drôle de marchandise
(C) Relations no 769, décembre 2013
Par Cyrille Béraud - L’auteur est président de l’entreprise Savoir-faire Linux
 
En constituant l’armature qui fait fonctionner Internet, les logiciels libres ont une influence directe sur nos vies. Leurs développeurs sont ainsi au cœur de l’extraordinaire révolution du numérique qui transforme le monde, son économie, ses modèles organisationnels ainsi que nos relations sociales. En acceptant de subordonner le fruit de leur labeur à la loi du don, du partage, de la collaboration, du travail et de la liberté individuelle, ils créent néanmoins, curieusement, de la richesse.
 
Inventé au début des années 1980 par Richard Stallman, chercheur au Massachusetts Institute of Technology (MIT), le logiciel libre est synonyme d’un nouveau cadre juridique qui en organise le commerce et la circulation. Tout logiciel est dit libre si la licence qui lui est associée confère à l’utilisateur les quatre libertés suivantes : la liberté d’exécuter sans frais le programme, pour tous les usages; la liberté d’étudier le fonctionnement du programme et de l’adapter à ses besoins; la liberté d’en redistribuer gratuitement des copies; et la liberté d’améliorer le programme et de distribuer gratuitement ces améliorations au public.
 
À partir de ce cadre, Richard Stallman invitera la communauté des programmeurs à récrire l’ensemble des logiciels qui constituent un système informatique complet. En quelques années, c’est l’ensemble du spectre des applications nécessaires, tant aux entreprises qu’aux particuliers, qui sera ainsi mis librement à la disposition de tous. Grâce au modèle de développement collaboratif, ces logiciels s’améliorent chaque jour et s’enrichissent de nombreuses fonctionnalités.
 
Il faut souligner avec insistance que le logiciel libre s’appuie sur le respect scrupuleux de la propriété intellectuelle et s’inscrit donc pleinement dans l’échange marchand. S’il est mis en circulation librement et gratuitement, son code-source, lui, demeure la propriété de ses auteurs. Mais comment une économie basée sur le partage, la collaboration et sur une marchandise que l’on donne, peut-elle fonctionner? Qu’est-ce qui est donné? Où se trouve la création de la valeur?
 
La théorie de la marchandise de Karl Marx[1] nous éclaire sur ces questions : dans l’économie du logiciel libre, c’est la valeur d’usage qui est donnée. La valeur d’échange, conférée par la propriété intellectuelle du code-source du logiciel, n’est pas mise en circulation par ses détenteurs. Elle est retenue, mise en suspens volontairement, librement. C’est sur la rétention de la valeur d’échange que l’économie du logiciel libre se fonde. Notons qu’elle échappe ainsi au mécanisme de fétichisation de la marchandise, ce phénomène social analysé par Marx selon lequel les échanges de marchandises en viennent à se substituer aux relations sociales. C’est donc dans l’ombre, dans le désintérêt des marchés et de la population consumériste que se développe l’économie du logiciel libre.
 
Qu’en tire alors le développeur, qui fournit la force de travail? Principalement, l’usage des logiciels libres développés par les autres. Comment crée-t-il de la valeur? En négociant sur le marché sa force de travail, autrement dit en vendant son savoir-faire, c’est-à-dire sa maîtrise de l’usage des logiciels libres.
 
Cette pratique collective, basée sur le deuil que l’on consent à faire de la valeur d’échange, s’organisera autour d’un type de lien social spécifique. Au cours de son séminaire Le désir et son interprétation, Jacques Lacan, dans les pas de la théorie des pulsions de Sigmund Freud, complète la théorie marxienne de la valeur d’usage et de la valeur d’échange en introduisant la valeur rituelle : « Le rite introduit une médiation par rapport à ce que le deuil ouvre de béance[2]. » Ainsi, on ne sera pas étonné de voir l’économie du logiciel libre s’organiser en communautés et en fondations (Free Software Foundation, Linux Foundation, etc.) dont les membres disent être des évangélistes – parfois prompts au prosélytisme, voire à une certaine forme de sectarisme.
 
Le logiciel libre sera-t-il l’ultime contradiction qui fera imploser le capitalisme, comme l’annonce Slavoj Žižek dans son essai Vivre la fin des temps (Flammarion, 2011), ou bien permettra-t-il au capitalisme de se transformer en une nouvelle forme plus humaine, fondée sur l’organisation en réseaux et la collaboration, comme le pressent Jeremy Rifkin[3]?
 
Dans son dernier film, World War Z, Marc Forster nous offre une allégorie de nos sociétés ravagées par le virus de la fétichisation de la marchandise ayant transformé la population en zombies amorphes. Le héros, interprété par Brad Pitt, dans une quête désespérée, part à la recherche du remède à travers le monde. Il ne le trouvera pas. Mais, à la fin de son voyage, au milieu de scènes apocalyptiques, il découvre que les humains malades d’un autre virus deviennent invisibles aux zombies. « Ce n’est pas un remède, c’est un camouflage. » En injectant ce virus aux rescapés, « la guerre peut commencer » contre les zombies.
 
Le logiciel libre, une marchandise camouflage?
 
[1]. K. Marx, Le Capital, Livre I, chapitre 1.
[2]. J. Lacan, Le désir et son interprétation, Séminaire VI, séance du 29 avril 1959, Éd. de La Martinière, Paris, 2013.
[3]. J. Rifkin, La troisième révolution industrielle, Paris, Éd. Les Liens qui libèrent, 2012.

L'Assemblée nationale du Québec adopte une motion en faveur le logiciel libre

«

Du consentement de l’Assemblée pour déroger aux article 84.1 et 185 du Règlement, M. Bédard, ministre responsable de l’Administration gouvernementale et président du Conseil du trésor, conjointement avec M. Gautrin (Verdun), Mme de Santis (Bourassa-Sauvé), M. Le Bouyonnec (La Prairie), Mme David (Gouin) et M. Ratthé (Blainville), propose :
 
QUE l’Assemblée nationale souligne la Journée internationale du logiciel libre qui avait lieu le 21 septembre;
 
QUE l’Assemblée salue toute initiative en vue de l’édition et de la diffusion de logiciels libres au Québec, et qu’elle encourage le gouvernement à poursuivre ses efforts pour promouvoir l’utilisation du logiciel libre au sein de l’administration publique.
 
Du consentement de l’Assemblée, la motion est adoptée.

»
 
La licence GPL et ses dérivées ne sont que des mots. En consentant librement à y subordonner le fruit de notre travail, nous avons commencé à changer le monde. La motion adoptée par l'Assemblée nationale, ce ne sont aussi que des mots, elle sera ce que nous en ferons.
 
Ce sont nos amis de l'APRIL qui ont le premier saluer l'événement : http://www.april.org/lassemblee-nationale-du-quebec-adopte-une-motion-sur-le-logiciel-libre
 
Jean-François Ferland de Direction Informatique a fait un très bon papier : http://www.directioninformatique.com/le-quebec-salue-le-logiciel-libre/21900
Pierre Asselin du journal le Soleil a aussi salué d'une bien belle manière cet événement :
http://www.lapresse.ca/le-soleil/opinions/editoriaux/201309/24/01-4692812-la-loi-du-code.php
 
Vous trouverez ici le lien sur le communiqué de presse de FQCIL et APELL : http://www.newswire.ca/fr/story/1230753/la-fqcil-et-l-apell-saluent-l-adoption-par-l-assemblee-nationale-du-quebec-d-une-motion-sur-le-logiciel-libre
 
 
 

Des petits signes qui ne trompent pas

« Et si, à l’instar de nos collègues du Cégep de Rimouski,  ( ... ) , nous osions passer au libre ? Et si la CSN, la FNEEQ migraient vers le libre ? Et si votre institution, votre syndicat le faisait aussi ? Et si on commençait progressivement à être libre en libérant quelques postes de travail pour les utilisateurs qui en éprouvent le besoin ? Et si l’exploration et la participation active au monde informatique faisait maintenant partie de la vie académique ? »
http://www.spcsl.org/2013/05/apologie-du-logiciel-libre-dans-les-institutions-denseignement/

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