mars 2011
Intervention en commission parlementaire sur la loi 133
Soumis par Cyrille Béraud le jeu, 03/24/2011 - 18:04Vous trouverez plus bas le contenu de mon intervention au cours des auditions de la commission parlementaire des finances sur la loi 133. Si vous souhaitez voir l'ensemble de l'audition (présentation et échanges avec les parlementaires) vous trouverez cela ici :
http://blogs.gplindustries.org/cyrilleberaud/CommissionFinance-APELL-133-QC.avi
Monsieur le Président, Madame la Ministre, Mesdames et Messieurs les députés,
Je voudrais tout d'abord vous remercier de permettre à notre association de s'exprimer sur le projet de loi 133 portant sur la gouvernance et la gestion des ressources informationnelles des organismes publics et des entreprises du gouvernement.
Nous avons effectivement la prétention de pouvoir contribuer à l'amélioration de cette gouvernance et de participer à ce débat dont les enjeux sont absolument essentiels pour l'avenir du Québec.
Les enjeux
En effet, ces vingt dernières années, l'écart des gains de productivité entre le secteur privé et le secteur public s'est accru significativement, ayant pour résultat, en proportion, un accroissement important des coûts pour les citoyens et ce, à services constants.
Cette situation, vous le savez, met l'État devant ce choix implacable : soit augmenter les taxes ou l'endettement, soit réduire les services. L'amélioration de la productivité de l'État s'avère être la seule solution.
La révolution des technologies de l'information et de la communication est au cœur de l'extraordinaire accroissement de productivité dans le secteur privé. L'État doit donc prendre appui sur ces nouvelles technologies afin d'améliorer son efficacité.
Il y a une autre raison pour laquelle ces enjeux sont fondamentaux. À quoi bon promettre un système de santé efficace, à quoi bon promettre une ré-ingénierie ou une dé- bureaucratisation de l'État, si par l'incapacité à mener à bien les mutations de son système d'information, ces promesses non seulement restent vaines, mais en plus alourdissent le poids des charges des contribuables ? À chaque projet informatique qui échoue, c'est la parole publique, votre parole, qui est dévalorisée, discréditée. À chaque projet informatique qui échoue, c'est notre démocratie qui est mise en échec.
Ces deux raisons que je viens d'évoquer, au fond, vous les connaissez. J'aimerais en mentionner une troisième qui trouve ses fondements dans le fait qu'au cours de ces vingt dernières années, les ordinateurs ont commencé à communiquer entre eux. Cette mise en réseaux a permis de nouveaux gains en efficacité, de nouvelles possibilités pour chacun de nous et pour chaque organisation. Elle nous a permis de communiquer rapidement et collectivement, d'organiser notre travail ou notre mission différemment, de collaborer et de partager le fruit de notre travail. En numérisant l'ensemble de nos connaissances, cela nous a permis d'accéder aux savoirs des autres, mais également de permettre à d'autres d'accéder aux nôtres. Bref, de cette mise en réseaux, a émergé une nouvelle forme d'intelligence collective qui est bien plus que la somme des parties qui la compose. Ainsi, en se connectant, ces ordinateurs, ces données, ces applications qui les manipulent, sans que nous nous en apercevions, changent la nature même de l'outil. Celui-ci ne se limite plus à automatiser des processus de production. Mis en réseaux, il constitue désormais la colonne vertébrale, le système nerveux et la mémoire de l'État.
C'est ainsi que l'État est devenu dépositaire, sans même qu'il s'en soit rendu compte, d'une nouvelle responsabilité. Celle d'enrichir, de développer et de protéger ce qui constitue, non pas les actifs informationnels de l'État, mais ce que je préfère appeler pour ma part, le patrimoine numérique de l'État du Québec.
Ce patrimoine numérique est un bien public qui appartient à chaque québécois. Il est déjà devenu, et le sera plus encore demain, la source de création d'immenses richesses. Il est la voie par laquelle les générations futures bâtiront l'État moderne dont elles auront besoin.
Notre prochain défi est de mettre à la disposition de la collectivité l'ensemble de ces richesses. C'est ce qu'on appelle le gouvernement ouvert.
Comme vous le voyez, les enjeux de la gouvernance des ressources informationnelles sont cruciaux et déterminants pour l'avenir du Québec.
Le diagnostic.
Avant d'envisager les solutions proposées pour améliorer la gouvernance et la gestion des ressources informationnelles, il nous faut faire un diagnostic le plus précis possible.
Comment expliquer la succession d'échecs dans la mise en œuvre de nombreux projets informatiques gouvernementaux ces dix dernières années ? Comment expliquer les défaillances dans la gestion de la plupart de ces projets, comme en témoignent les dépassements de coûts systématiques, et souvent dans des proportions faramineuses ?
Les systèmes d'information des organisations, et en particuliers ceux de l'État, sont devenus des systèmes fortement intégrés, complexes, hétérogènes et en mutation constante.
Ce changement mal anticipé de paradigme explique, d'après nous, en grande partie l'impasse à laquelle ont menées les politiques précédentes.
Pour mettre en œuvre ces systèmes d'information modernes, l'organisation se doit d'abord d'être maître de l'ensemble de ses composants. Elle doit en être pleinement propriétaire.
Elle doit posséder l'outillage technologique nécessaire. Enfin, elle doit mettre en œuvre une méthodologie de gouvernance de projet adaptée.
En utilisant massivement des logiciels qui, par leurs licences, restreignent drastiquement l'usage qu'elles peuvent en faire - je parle ici des logiciels privatifs -, les administrations se sont privées de la liberté d'adapter continuellement leurs outils à leurs besoins. Ceci entraînant un surcoût et un gâchis de ressources financières et humaines incommensurables.
En se privant d'utiliser l'extraordinaire boîte à outils disponible sur Internet, elles se sont condamnées à reconstruire sans cesse ce qui existait déjà.
Enfin, en mettant en œuvre des méthodologies de gouvernance de leurs projets dépassées, elles se sont privées de la mutualisation extrêmement bénéfique des ressources logiciels et de l'expertise humaine rare et coûteuse.
Le logiciel libre est la réponse apportée par l'industrie du logiciel pour bâtir les nouveaux systèmes d'information modernes. Incontournable, il est devenu la norme dans cette industrie à travers le monde.
Il n'est pas une garantie en soi du succès des projets informatiques. Bien d'autres paramètres rentrent en ligne de compte. Mais l'APELL affirme que le logiciel libre est la seule voie possible pour bâtir des systèmes d'information modernes.
Qu'est-ce que le logiciel libre ?
Tout d'abord, il est essentiel d'indiquer que les logiciels libres ne sont pas des produits en plus ou de nouveaux produits. Ce ne sont pas des solutions. Les logiciels libres ne constituent pas une alternative. Ils sont véritablement une nécessité des systèmes d'information modernes. Ils permettent de bâtir des systèmes d'information complexes, hétérogènes et en mutation constante.
Les logiciels libres sont avant tout une fantastique innovation organisationnelle.
Le modèle du logiciel libre se constitue autour de trois éléments inséparables, qui en font sa qualité :
1. Un cadre juridique adapté.
2. Un vaste ensemble de composants logiciels.
3. Une méthodologie.
Le premier élément est le cadre juridique adapté : il s'agit de la licence GPL et de ses dérivées qui organisent le commerce du logiciel sous la forme d'un marché libre et concurrentiel. Cette licence donne le droit d'étudier, de modifier, de redistribuer le logiciel qu'on aura éventuellement pu acheter. Ainsi, par ce cadre juridique, l'organisation qui l'utilise est pleinement propriétaire de son logiciel.
Le deuxième élément concerne un vaste ensemble de composants logiciels disponibles sur Internet qui répondent à la plupart des besoins existants en informatique. Certains sont élémentaires, d'autres constituent des ensembles complets.
Ces briques permettent de bâtir rapidement et efficacement des systèmes complexes et sophistiqués. Elles sont disponibles dans la plupart des cas, gratuitement.
Le troisième élément est d'ordre méthodologique. Il se compose d'un ensemble de méthodologies que l'on désigne sous le nom d'Agile. Elles permettent d'appréhender la complexité, d'organiser les développements collaboratifs, d'assurer une utilisation optimum des ressources, en organisant la mutualisation de l'expertise et des composants logiciels.
Le logiciel libre, de par sa nature, assure la pérennité des investissements logiciels, matériels et humains.
Il est la condition de la modernisation de l'administration publique.
Le remède proposé.
Monsieur le Président, Madame la Ministre, Mesdames et Messieurs les députés,
La loi 133 proposée donne au gouvernement les moyens juridiques et organisationnels afin de mettre en œuvre la politique-cadre que celui-ci souhaite mener.
Cette politique se résume en cinq points :
• tirer profit des ressources informationnelles en tant que levier de transformation;
• investir de façon optimale et rigoureuse;
• optimiser la gestion de l'expertise et du savoir-faire;
• assurer la sécurité de l'information;
• tirer profit des logiciels libres.
Tout d'abord, je voudrais dire que l'Association Professionnelle des Entreprises en LogicielsLibres salue la volonté politique exprimée de modifier en profondeur la gouvernance et la gestion des ressources informationnelles actuelles et adhère en tout point aux objectifs de la politique-cadre.
Nous saluons la reconnaissance, tant attendue, par l'État du rôle que notre industrie peut jouer dans le processus de modernisation de l'État québécois.
Les changements à opérer sont immenses; ils doivent se faire progressivement et de manière raisonnée. Ils doivent se faire par contre avec détermination.
Cependant je dois faire observer, que, pendant que le gouvernement du Québec annonce une politique des petits pas, le reste du monde, lui, court.
Je dois également faire observer que les cinq objectifs de la politique-cadre sont affichés sur le site web du Ministère des Services Gouvernementaux depuis de nombreuses années, y compris à propos du logiciel libre.
Nous souhaitons, dès à présent, apporter notre contribution en suggérant à la commission un certain nombre d'amendements au projet de loi 133 qui permettront au gouvernement d'avoir réellement les moyens nécessaires pour mener à bien cette politique. Une partie de ces propositions ont été déposées ce matin au secrétaire de la commission et, puisque le temps m'est compté, je souhaiterais simplement insister sur deux d'entre elles qui nous paraissent essentielles.
La loi doit prendre acte du changement de paradigme majeur que j'évoquais en introduction : les systèmes d'information de l'État n'ont plus seulement comme fonction d'automatiser des processus de production, mais forment un tout indissociable et constituent dorénavant un patrimoine numérique qu'il s'agit d'enrichir, de développer et de protéger.
La loi doit donner le mandat au dirigeant principal de l'information - ou bien au Conseil du trésor - de s'assurer que l'État possède la pleine propriété sur ce patrimoine commun.
Une deuxième proposition sur laquelle j'aimerais insister consiste à donner des moyens concrets au Dirigeant principal de l'information pour tirer profit des logiciels libres.
Les deux grands avantages du logiciels libres sont d'ordre financier et méthodologique :
1. Ils permettent de mettre en œuvre la mutualisation des ressources logiciels et
l'expertise professionnelle, ouvrant la voie à des économies considérables.
2. Ils permettent de mettre en œuvre des processus innovants quant à la gouvernance
de projets informatiques (Agile), permettant de mener à bien des projets complexes.
Si le gouvernement souhaite tirer profit du logiciel libre, il doit mettre en place un lieu où cette mutualisation et cette nouvelle gouvernance se réalisent. Et inversement, sans ce lieu, l'État ne pourra pas tirer profit du logiciel libre.
Pour cela, l'APELL propose d'intégrer dans la loi la création d'un Centre d'innovations et de convergence numérique du Québec, dont le rôle moteur doit être :
Innover, mutualiser, conseiller.
Innover : avoir un coup d'avance sur les Ministères et organismes, donner une vision tant au niveau des outils qu'au niveau des modèles organisationnels (méthodologie Agile).
Mutualiser : minimiser les dépenses redondantes, maximiser les expertises offertes, organiser la collaboration et le partage des ressources entre les Ministères et organismes, fédérer les Ministères autour d'une vision commune.
Piloter/conseiller : les grands projets de l'État numérique .
Passer d'une logique de centre de coût (ventes de services partagés) à un centre de création de valeurs (innovation et modernisation). Concentrer du savoir-faire. Agir comme Centre d'expertises et de formation en Logiciels Libres. Organiser la mutualisation des développements.
Par leur nature pérenne et par les méthodologies qui sont mises en œuvre, les logiciels libres permettront à l'État d'investir de façon optimale et rigoureuse.
Par la capacité d'organiser le travail collaboratif et la mutualisation des ressources informationnelles et humaines, les logiciels libres permettront à l'État d'optimiser la gestion de l'expertise et du savoir-faire.
Par le contrôle complet qu'ils donnent à son propriétaire, les logiciels libres permettront d'assurer et de garantir à l'État une véritable sécurité de ses systèmes d'information.
Ce centre d'innovation et de convergence numérique sera l'outil qui permettra de faire des ressources informationnelles le levier de transformation et de modernisation de l'État québécois.
Nous insistons : les difficultés de gouvernance et de gestion des ressources informationnelles de ces dernières années ne sont pas dues à une simple défaillance au niveau de la gestion budgétaire. Elles trouvent leurs causes dans une vision dépassée des technologies disponibles et des structures organisationnelles inadaptées - je pense notamment au CSPQ.
Le Centre d'Innovation et de Convergence Numérique du Québec est l'outil qui permettra au gouvernement de relever les défis de la politique-cadre.
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